120 battements par minute : «Un film à cœur ouvert»

 Charles Fraser-Guay

CINÉMAÀ l’époque où certaines infections transmises sexuellement progressent de façon fulgurante, surtout chez nos adolescents, et à un moment où l’école québécoise se questionne sur son rôle à jouer dans l’éducation sexuelle, le film «120 Battements par minute», fait œuvre utile.

Film social et naturaliste, construit sur des faits réels, il nous rappelle qu’à une époque pas si lointaine, les sidéens devaient se battre contre l’indifférence, contre des compagnies pharmaceutiques insensibles, contre l’état et surtout, contre la maladie elle-même.

Robin Campillo, le réalisateur de ce film, fait preuve d’un certain courage dans son traitement audacieux et sans concession de cette problématique. Il nous avait déjà fortement impressionnés avec le film «Les revenants» en 2004, ou encore avec le scénario du film «Entre les murs».

Il confirme maintenant sa force comme dialoguiste avec ce dernier opus. Campillo ne s’attarde pas à nous montrer les lieux et la mode, par exemple, de cette époque, mais plutôt à recréer son atmosphère bien particulière.

Dans «120 Battements par minute», nous suivons le parcours d’activistes d’Act Up-Paris, une association militante de lutte contre le sida, au début des années 1990. Dans ce groupe, un nouveau venu, Nathan, cherche à faire sa place. Entre manifestations et coups d’éclat médiatiques, il tombera amoureux de Sean.

Cet activiste est l’un des plus radicaux du groupe. Campillo se concentre sur leur histoire, tout en accordant une grande attention aux militants qui gravitent autour d’eux. Ils deviennent une sorte de deuxième famille.  Malgré le sujet extrêmement sérieux, nous n’avons pas ressenti cette lourdeur souvent associée à ce type de film.

Les acteurs sont criants de vérité et souvent très drôles, en particulier Antoine Reinartz, qui joue le rôle de Thibault, le président du mouvement. Ces militants sont jeunes, parlent de sexualité sans aucun tabou et veulent éveiller les consciences.

À ce sujet, certaines scènes de sexualité explicites font passer «Brokeback Mountain» pour un film de Disney, c’est tout dire !

Malades pour la plupart, ils cherchent, dans l’action politique, à faire évoluer une France prisonnière de ses préjugés. Le film aurait pu se dérouler au Canada ou aux États-Unis et la problématique serait restée globalement la même : celle d’une société incapable de suivre l’évolution des mœurs et peu préoccupée par son devoir d’éducation. Pour rajouter à l’odieux, les compagnies pharmaceutiques cherchaient  davantage à faire du profit qu’à rendre disponible la médication utilisée pour contrôler la maladie.

Une scène symbolise l’importance de leur combat. Nous y voyons des militants entrer dans une école parisienne sans y avoir été préalablement invités. De classe en classe, ils distribuent des tracts traitant de l’importance d’utiliser des préservatifs. Le directeur, outré, déclare alors stupidement que parler de sexualité revient en quelque sorte à l’encourager.

Son discours décalé est symptomatique de la pensée de l’époque. Il démontre à quel point l’état était à la remorque de cette problématique sociétale : incapable d’en saisir l’ampleur et d’agir en conséquence. Le film n’évacue pas pour autant la question de la responsabilité individuelle dans la transmission de la maladie. Comme le dit avec justesse Sean, dans une scène avec son amant : agir de manière sexuellement responsable c’est, en premier lieu, se respecter soi-même.

Le réalisateur braque souvent sa caméra sur les diverses rencontres organisationnelles du groupe. Nous assistons à leurs déchirements et tiraillements internes, à leurs questionnements idéologiques. Sans jamais montrer un préjugé favorable pour un parti ou pour un autre, Campillo démontre qu’il ne s’agissait pas d’un bloc monolithique.

Des divergences d’opinions et des cassures sont clairement perceptibles au sein même du mouvement. Il y a une opposition claire entre radicaux et modérés. Cet élément est sans doute le plus intéressant et original du film.

Durant la seconde partie du film, le réalisateur fait l’erreur de s’éloigner de la vie interne d’Act Up-Paris pour centrer son histoire sur le drame vécu par Sean. Il est de plus en plus malade et Nathan, son amoureux, devient en quelque sorte son infirmier.

En prenant cette décision, Campillo nous donne l’impression d’avoir voulu faire deux films en un : un film militant et un drame sentimental. Le spectateur s’en retrouve déboussolé.

Nous retombons dans une sorte de « Philadelphia » à la sauce française qui, bien qu’intéressante, n’a pas l’originalité et la vitalité de la première partie. À tout de moins, le réalisateur évite de tomber dans la surenchère émotive et ne cherche pas non plus à préserver le spectateur. Les effets de la maladie sur Sean nous sont montrés, sans fard et sans faux-semblant.

En conclusion, «120 Battements par minute» nous fait revivre, avec intelligence et humanité, une période sans doute charnière dans l’évolution des connaissances sur le sida et plus largement, sur ce que devrait être une sexualité responsable.

Bien entendu, il est dommage que l’effet global du film soit atténué par une deuxième partie plus convenue. Malgré tout, le long métrage conserve son intérêt.

Il faut se demander si les avancées réalisées, entre autres, par ces activistes, n’ont pas été, en partie, oubliées collectivement durant les dernières années.  La mise en place d’un programme-pilote de cours d’éducation sexuelle, dès septembre, dans les écoles québécoises est, en ce sens, un pas dans la bonne direction.

D’ailleurs, pourquoi ne pas présenter «120 Battements par minute» dans nos cégeps afin de conscientiser les étudiants?

Mais, ne soyons pas naïfs, la pudibonderie ambiante ne favorise pas ce type d’initiative.