Les Derniers Jedi : La Marvelisation de Star Wars

 Charles Fraser-Guay

CINÉMA – Avant de lire cette critique, une précision s’impose pour les futurs lecteurs. Votre humble serviteur est un amateur de « Star Wars » depuis qu’il est en âge de tenir un sabre laser dans ses mains. Lors de notre prime jeunesse, cette franchise était pour nous le Saint-Graal du cinéma et George Lucas, l’équivalent d’Orson Wells.

Combien de fois, dans la cour de récréation, avons-nous personnifié Han Solo? Un nombre incalculable, sans doute. C’est donc avec une fébrilité enfantine que nous nous sommes précipité au cinéma. Une fois le film débuté, nous avions le sentiment de revoir un vieil ami.

Petit récapitulatif pour les lecteurs : Han Solo est mort et les rebelles sont traqués par le Premier Ordre. La générale Leia Organa, blessée, doit temporairement céder sa place comme chef de la résistance. Poe Dameron et Fin cherchent un moyen de renverser la situation à leur avantage, accompagnés d’une nouvelle venue : Rose Tico.

Ray, en ce qui la concerne, a un premier contact peu constructif avec Luke Skywalker. Elle souhaiterait le convaincre de reprendre les armes pour la Résistance et de se charger de son apprentissage. Mais le légendaire Jedi semble avoir perdu foi en la force; une véritable hérésie.

Alors que « L’éveil de la force » reprenait essentiellement l’arc narratif de l’opus numéro quatre, « Les derniers Jedi » pouvait se permettre de sortir du cadre préétabli par ses prédécesseurs. Enfin, tel était notre espoir, d’autant plus que Rogue One, le premier film hors-série, s’écartait d’un manichéisme à la sauce disneyenne.

Rian Johnson, qui nous avait donné un « Looper » divertissant et magnifique visuellement, signe ici une réalisation sobre, voire terne. Celle-ci manque cruellement d’artifices. Le cinéaste semble écrasé par son sujet et ne parvient pas, contrairement à Denis Villeneuve dans « Blade Runner », à insuffler une identité propre au film.

L’histoire s’étire sur une période d’environ seize heures. Ce faible laps de temps ne donne pas beaucoup de possibilités scénaristiques. Ce carcan est beaucoup trop restreignant et l’intrigue en subit les contrecoups. Tout semble précipité, sans réels ancrages, une sorte d’esbroufe d’histoires secondaires qui ne rajoutent strictement rien à l’intrigue principale.

Le thème de l’échec est omniprésent et imprègne chaque scène du film. Ce thème n’est pas dénué d’intérêt et contribue à donner une touche de sérieux à une histoire relativement superficielle. Les personnages principaux, confrontés à leurs propres limites, seront obligés de montrer leur véritable nature et leurs masques tomberont une fois pour toutes.

L’aspect politique du récit, omniprésent dans les autres films, est ici complètement évacué. Vous n’aurez aucun éclaircissement sur le « Premier Ordre » ou sur les origines du leader suprême Snoke. En fait, nous sommes resté avec cette désagréable impression d’assister à un intermède entre l’épisode un et l’épisode trois. Étrange, tout de même, car dans de nombreuses trilogies, le deuxième épisode demeure le plus pertinent du lot. Souvent, plus sombre, il sert de tremplin scénaristique à une finale riche en artifices. « Les derniers Jedi » est loin de jouer ce rôle.

Rian Johnson échoue donc à nous surprendre.  Son scénario est relativement conservateur. Il évite toute prise de risque, à l’exception d’une scène particulière que nous éviterons de vous dévoiler. À défaut de fédérer l’ensemble des spectateurs, un renversement de situation aurait au moins eu le mérite de relancer la franchise dans une nouvelle direction. Point ici de « Luke, je suis ton père ». Pourtant, le potentiel était énorme. Le retour d’un Luke Skywalker désabusé offrait de multiples possibilités.

Il faut tout de même souligner le travail du réalisateur pour donner de la substance au personnage de Kylo Ren. Plaintif et larmoyant à l’extrême dans « L’éveil de la force », il a une réelle profondeur dans ce nouvel opus. Au même titre qu’Anakin Skywalker, il émerge comme la figure emblématique de cette nouvelle trilogie.

Poe Dameron se démarque tout autant, ce qui n’est pas pour nous déplaire, Oscar Isaac étant sans doute l’acteur le plus talentueux de cette nouvelle génération. À l’opposé, le personnage de Finn reste unidimensionnel. Sa présence est inutile, sauf pour rallonger indûment la durée du film. Rey, naïve et bonasse, se tire bien d’affaire. Cependant, elle est une figure trop lisse pour susciter un réel sentiment d’identification chez le spectateur.

Autres irritants à souligner, des ajouts aux mondes extrêmement codifiés de Star Wars nous rendent perplexe, telle cette idée saugrenue de faire respirer la princesse Léa dans l’espace. Quelqu’un, quelque part chez Lucasfilm, aurait dû prendre conscience de l’absurdité de cette scène.

À bien y réfléchir, nous sommes peut-être injustement sévère envers Rian Johnson. « Les derniers Jedi » n’est tout de même pas un navet. Il demeure plus intéressant que la moyenne des films du même genre. Les effets spéciaux sont soignés et  les scènes d’action, relevées. Notre malaise persiste tout de même et une interrogation s’impose.

Dans cette surenchère de variations sur le même thème, cette franchise ne risque-t-elle pas de devenir une sorte de Marvel, où chaque nouveau film, bien que sympathique, est générique à l’extrême?