Le destin des dangereux (The fate of the furious)

Véritable tragédie shakespearienne des temps modernes, Le destin des dangereux (aucun lien de parenté avec le classique québécois « Les dangereux » de Louis Saia) est un ovni dans le paysage cinématographique actuel, un courant d’air frais, un film initiatique et formateur dont le spectateur ne sortira pas indemne.

Cette œuvre de F. Gary Gray, le 8e volet de la franchise, pourvu d’un modeste budget de 250 millions de dollars et d’un 136 minutes de calories vides, redonne ses lettres de noblesse à un cinéma naturaliste, que n’aurait pas renié un Ken Loach ou un Dardenne.

Caractérisé par son ton intimiste et sa sobriété de mise en scène, le film illustre le combat quotidien d’hommes normaux cherchant leur place dans une société en déconstruction.

Mélangeant allégrement les genres, brouillant les pistes pour mieux nous surprendre; passant du Vaudeville à la science-fiction, comme en témoigne cette scène surréaliste où le personnage principal est poursuivi par un sous-marin nucléaire, (critique à peine voilée de la mécanisation de nos sociétés et signe phallique renvoyant aux calendes grecques l’image machiste de l’homme de char), Le destin des dangereux brise le canevas habituel pour mieux le réinventer.

Un peu comme l’avait fait durant les années 70, avec une force d’évocation hors du commun, « Les hommes du président » ou « Apocalyspe Now », cristallisant à eux seuls les peurs et les traumatismes d’une décennie, celle du Watergate et celle de la guerre du Vietnam, Le destin des dangereux est en parfaite adéquation avec les années 2010, une allégorie à la présidence de Trump tout en douceur et en fitness.

Dès la scène d’ouverture, le réalisateur nous fait voyager dans un Cuba de carte postale pour retrouver le héros des opus précédents, M. Diesel, incarnation parfaite de l’américain moyen. Sa pilosité absente symbolise son sentiment d’aliénation dans cette société normative ou les « chars » et les « pitounes » légèrement vêtues sont dénigrés par une élite bien-pensante adepte du vélo et du Plateau Mont-Royal.

Faut-il voir, dans cet intérêt futile pour les grosses bagnoles de la part de notre gladiateur des temps modernes, une critique à peine déguisée de notre société mercantile? C’est un pas que je ne saurai franchir.

Ainsi donc, M. Diesel, héros tragique, spectateur de sa propre vacuité, en pleine lune de miel avec sa douce Letty, verra une ombre planer sur son bonheur d’occasion. Cette ombre prendra ici la forme de Cipher, une cyberterroriste qui aime chiper, interpréter par une sardonique Lisbeth Salander blonde, accompagnée de ses spires pirates informatiques percés de la tête aux pieds.

Elle corrompra aisément le naïf et candide M. Diesel qui, tel un Don Quichotte sur l’acide, fera le tour du monde pour réussir une « MISSION À HAUT RISQUE ». Ses amis aux grands cœurs, désireux de camoufler leur sentimentalité par une multitude de phrases-chocs viriles, chercheront alors à le ramener dans le droit chemin, c’est-à-dire dans un monde de vols, de chars et de vols.

Ils voudront accessoirement sauver le monde tout comme le héros, devenu entre-temps agent double, et chercheront, en le poursuivant, à connaître «LA VÉRITÉ». The Rock offre ici une prestation de haut-calibre, dans la peau de l’ami éploré dont les véritables intentions pour M. Diesel, bien que camouflées, ne sont que trop visibles.

Mention spéciale pour les pectoraux de The Rock qui lui volent clairement la vedette, leur jeu tout en finesse témoignant de leur grande versatilité musculaire. Ici s’arrête, pour l’essentiel, l’histoire du film, écrit sans doute sur une serviette de table d’un restaurant 5 étoiles de Los Angeles par un scénariste multimillionnaire. Aucun doute, Le destin des dangereux marquera d’une pierre blanche un nouvel âge d’or pour le cinéma hollywoodien.

Du critique caustique