Inspiration, influences, hommages et plagiat…

Pierre-Yves Faucher

MUSIQUE – …Ça se complique quand la musique est simple. J’ai toujours eu un peu de misère avec les albums de reprise. En voulant rendre hommage à l’ensemble de l’œuvre d’un artiste ou d’un groupe, on rate souvent la cible (pas de statistiques ici).

Les exceptions à cette démarche qu’elle soit sincère ou purement mercantile confirment la règle. Celui que je considère comme le plus respectueux tout en étant personnel en la matière, c’est Joe Cocker. Il aurait pu faire des tonnes d’albums de reprise des chansons des Beatles ou de Ray Charles et il aurait ravi tous les irréductibles fans de ces artistes.

On n’a qu’à penser à ses reprises soul et funky de « With a Little Help from my friends » et de « She came in through the Bathroom Window », de The Letter ou de Unchain my Heart auxquelles il a infusé une énergie stéroïdique à ces ballades.

La bande sonore du film « Across the Universe » a su revisiter avec bonheur plusieurs titres beatlesques avec sensibilité et respect. Et quelle belle réussite du Cirque du soleil avec sa bande sonore du spectacle « Love » gracieuseté du maestro George Martin et de son fils Giles.

Cependant, on en connaît des résultats mitigés mi-figue, mi-raisin. Prenons l’exemple du récent album de Randy Bachman (The Guess Who, BTO) qui rend hommage à George Harrison. Grand fan des Beatles, auteur de grandioses hits planétaires, il a voulu pour ses 75 ans célébrer les 75 ans qu’aurait eus George en 2018.

L’intention derrière cette démarche musicale est claire en entendant les titres. S’éloigner le plus possible des chansons originales avec une touche personnelle pour faire découvrir le talent de compositeur d’Harrison. J’estime qu’en général ses efforts sont assez vains.

D’abord, le choix des chansons. Il s’attarde aux compositions des années 60. Deux chansons seulement sont tirées de sa carrière solo soit Give me Love (Give me Peace on Earth) et Handle With Care (Traveling Wilburys), alors que cette période plus prolifique nous a fait découvrir encore plus son talent de mélodiste et d’arrangeur.

Pour Give me love, une magnifique ballade très peace and love, les arrangements choisis par Bachman qui la font rocker à coups de power chords ne fonctionnent tout simplement pas. Avec While my Guitar Gently weeps, iI utilise une progression d’accords semblables à celle de All along the Watchtower (à la Hendrix) avec un rythme trop rapide qui ne rend pas justice à la mélodie.

Something et Here comes the Sun, les deux chansons monumentales d’Harrison sont assez triste à entendre, déboulonnées qu’elles sont de leur piédestal. Taxman traitée avec un riff blues à la ZZ Top dans La Grange n’est pas d’un grand intérêt. La version rock explosive de Joe Bonnamassa à la Cavern de Liverpool est bien plus intéressante et énergisée avec bonheur. Certaines chansons de l’album de Bachman obtiennent la note de passage.

La version jazzée de « If I Needed Someone » est assez intéressante avec ses voix justes et un rythme intéressant. You like me too much reçoit également un traitement respectueux, mais l’ensemble de la démarche est assez décevant.

Inspiration, influences : les musiciens de Greta Van Fleet sont-ils des clones ?

Le band rock qui crée le buzz depuis un an aux États-Unis et au Canada (je les ai entendus à CHOM récemment), c’est Greta Van Fleet. Originaire du Michigan, le groupe formé en 2012 est composé de quatre membres, dont trois frères (guitariste, bassiste et chanteur).

Loin de renier la musique que leurs parents écoutaient, les trois frères ont grandi en écoutant les pionniers du blues et la musique de la British Invasion des années 60 qui s’est transformée en rock que le paternel (musicien) faisait jouer dans la maison.

Tout ce qui a été mis sur le marché jusqu’à maintenant ce sont des compositions. Un premier EP intitulé Black Smoke Rising comprenant quatre chansons a été mis sur le marché en 2017. Dans la même année, un deuxième EP a été offert avec quatre nouvelles offrandes ajoutées aux quatre chansons du premier.

Ce quatuor représente un attrait certain pour les amateurs de bands de guitares de toutes les tranches d’âge, un instrument qu’on entend rarement dans les productions des nouveaux aspirants à la gloire. Donc, ce groupe comble certainement un besoin.

Les similitudes avec Led Zeppelin sont évidentes. Trop, peut-être ? Les similitudes sautent aux yeux et aux oreilles. La voix du chanteur (hurlements à la Robert Plant), sa gestuelle, les habits de scène torse à nu très sixties, la sonorité de la guitare et de la basse et que dire de la frappe pesante du batteur qui rappelle un peu pas mal à celle de « Bonzo » Bonham.

Pourquoi s’intéresser à eux quand on a déjà l’original? Quel intérêt me direz-vous? Dans ce cas-ci, on parle de jeunes dans le début de la vingtaine, en début de carrière, qui s’inspirent de la musique de la génération précédente. Cela peut servir de tremplin vers la découverte de leur propre créativité. On verra bien avec la sortie imminente d’un album complet, qui espère-t-on, sera plus substantiel et personnel.

Le plagiat : la mère de tous les maux

On est tous influencés par le monde qui nous entoure, les auteurs-compositeurs ne sont pas imperméables. En musique comme dans les autres arts, il est difficile de départager l’influence et le plagiat. Si on poussait un peu la note, les Beatles pourraient poursuivre les frères Gallagher pour tous les succès d’Oasis, la succession de Woody Guthrie pourrait le faire également avec Bob Dylan pour la plupart des chansons de son catalogue et la succession de Bob Marley à peu près tous les artistes reggae des 40 dernières années.

Il est convenu d’affirmer qu’il n’y a pas d’idée vraiment originale. De Shakespeare aux Beatles jusqu’à Led Zeppelin, pas mal d’artistes ont été accusés de voler des idées. On peut penser à George Harrison qui a été condamné à dédommager les plaignants pour plagiat inconscient (My Sweet Lord vs She’s So Fine des Chiffons).

Tout comme Harrison, Mick Jagger et Keith Richards ont été également « victimes » de plagiat inconscient avec leur chanson « Anybody seen my Baby » (de l’album Bridges to Babylon). Richards a fait écouter la chanson à une de ses filles et elle a chanté sans anicroche des paroles toutes différentes sur le refrain.

C’était les mots de K.D. Lang de sa chanson Constant Craving. Coup de fil immédiat de Richards à la société de gestion des pierres roulantes pour que les avocats proposent une partie des droits d’auteurs à K.D. Lang et au coauteur Ben Mink. Elle accepta immédiatement l’offre de 25 % des royautés. Elle a déclaré se sentir honorée et flattée. Et pas de chicane dans la cabane.

Avec les chansons The Lemon Song, Dazed and Confused et A Whole lotta love, Led Zeppelin est parvenu à des ententes hors cour réglées en argent (montants non dévoilés) et en mention de cocréation des pièces musicales.

Récemment, Jimmie Page et Robert Plant ont été acquittés de l’accusation d’avoir plagié l’ouverture de Stairway to Heaven qui ressemble beaucoup à celle de la chanson Taurus du groupe Spirit. Le juge a accepté l’argument des défendeurs sur le fait qu’il s’agissait d’une progression d’accords en la mineur connue en musique depuis des siècles et que le reste de la chanson de huit minutes n’était pas en cause dans l’affaire.

Plus récemment, un des cas les plus publicisés fut la chanson de l’année 2013, Blurred Lines, écrite par Robin Thicke et Pharrel Williams qui ont été accusés d’avoir plagié la chanson Got to Give It Up de Marvin Gaye. Un expert en musicologie a prétendu qu’il y avait 8 éléments distincts empruntés à la chanson de Gaye incluant la mélodie, les paroles, la ligne de basse et le rythme.

Au cours des deux semaines de procès à Los Angeles, les jurés ont entendu Blurred Lines comparée à la partition de Got to give it up, qui a été jouée en cour par un pianiste professionnel. Les jurés avaient reçu pour instruction de se concentrer uniquement sur la mélodie et non sur tous les arrangements de la version finale de la chanson de Robin Thicke et de Pharrel Williams. Dans ce cas-ci, on parle de beaucoup de dineros. Le juge a accordé aux enfants de Marvin Gaye en mars 2015 près de 7,4 millions de $.3

À l’international comme sur la scène locale, on s’entend généralement hors cour sans trop de publicité quant aux verdicts. Au Québec, les poursuites sont rares et pas nécessairement publicisées.

En 2006, Michel Pagliaro et Jim Zeller ont poursuivi le groupe torontois Jacksoul (Haidain Neale) et Sony BMG Music pour plagiat de leur chanson Still Believe in love. Elle s’est retrouvée sur un album de ce groupe en 2004 alors que les deux plaignants affirment l’avoir composée en 1980.

Elle figurait sur des maquettes expédiées à diverses compagnies de disques entre 1980 et 1990. Comme l’aspect accessibilité de l’oeuvre est au coeur des litiges de plagiat, une des maquettes en circulation dans les compagnies de disque aurait pu donc être entendue par Haidain Neale.

La cause semblait solide. Selon le compositeur Stéphane Venne qui fut engagé comme consultant, Neale s’est emparé de l’idée, du titre (il ne faut pas être gêné quand même), de l’esprit et du caractère en utilisant une tonalité commune, une structure semblable, un tempo similaire, un style et un rythme très ressemblants.

Pas facile de se sortir de ces arguments. Cette histoire s’est peut-être perdue dans les dédales de la justice canadienne ou il y a eu un règlement hors cour, car il semble n’y avoir aucune trace d’une entente concernant cette cause. Haidain Neale est pour sa part décédé d’un cancer de la gorge en 2009.

Passer le test juridique

Le plagiat en musique est une faute morale, mais surtout commerciale consistant à copier un auteur ou un créateur sans le dire, ou à fortement s’inspirer d’un modèle que l’on omet délibérément ou par négligence de désigner. Il est souvent assimilé à un vol immatériel1. En musique, c’est très complexe à caractériser. L’originalité n’est pas définie par des critères ou des lois fixes. Une œuvre est le fruit d’une construction reposant sur les notes, les accords, les harmoniques, les silences, le rythme, les arrangements, l’univers sonore, etc. Il existe donc une infinité de combinaisons, mais l’analyse peut partir de sept notes identiques entre deux morceaux ou huit mesures très ressemblantes.2

 En général, les lois sur les droits d’auteur énoncent que tout ce qui reflète un « minimum d’étincelle » de créativité et d’originalité peut être protégé par des droits d’auteurs, incluant la mélodie, la progression d’accords, le rythme et les paroles. Dans le cas d’un procès pour plagiat, la personne qui poursuit une autre partie doit prouver deux choses : l’accessibilité et la similitude substantielle. Le contrevenant aura entendu ou peut raisonnablement avoir entendu la chanson originale avant d’avoir écrit leur pièce musicale et dans le cas de la similitude substantielle, l’auditeur moyen peut reconnaître qu’une chanson a été copiée à partir d’une autre. Plus il y a d’éléments en commun, plus les deux créations sont susceptibles d’être définies comme similaires.3

À l’ère numérique, il est de plus en plus commun et facile d’effectuer de l’échantillonnage, du découpage ou des copies littérales de parties de chansons.  Le plagiat ou ses tentatives ne sont pas près de disparaître en raison également de certains producteurs paresseux et des visées mercantiles des compagnies de disques3.

1. John Philip C. Manson, blogueur culturel spécialisé dans les sciences et l’épistémologie

2. Site de France TV Info. 11/03/2015

3. idem