Le temps mort…

CHAMBLY – La surprise fut totale, ce jeudi 22 novembre 2018, lorsqu’une rétrocaveuse donna fort contre les courbes de la maison Boileau. Elle pliait sous le poids de l’acier, grinçait sous les coups de bélier.  C’en était fait de 200 ans de fierté.

Faut dire qu’elle était sombre, vide et creuse comme un tambour sans trompette, mais ancrée quand même et solide au carrefour des paysages d’eau. Elle est tombée au sol. Son temps est mort.

La Société d’histoire de la seigneurie de Chambly déplore cette perte irremplaçable. La remplacera-t-on par un sosie semblable en tous points, qu’elle ne respirera jamais l’âme du peuple. La Société d’histoire se réunira en assemblée spéciale bientôt pour envisager le post-boileau. Les administrateurs réfléchiront à des recommandations. Au moindre mal. Au pis aller…

Il y a de ces lieux qui nous charment. Des endroits uniques où respirent encore les génies d’une race, où plane l’esprit des ancêtres. Ainsi, le château Ramezay à Montréal. Malgré qu’il soit écrasé par les « buildings » d’affaires et les commerces, il s’ancre au sol comme un monolithe hors du siècle. Un hors-d’œuvre dans le décor d’asphalte, il tient bon dans la tempête, contre les rétrocaveuses et les piliers d’acier. Pas nécessaire de le prendre de haut. Il faut baisser les yeux pour le voir.“… Mais j’ai cette maison, rivée aux talons…” (Félix Leclerc, Chanson des colons, 1957).

Il y a des sites qui pèsent lourd dans la ligne du temps. La maison Boileau à Chambly, le manoir Le Boutillier à Gaspé, le manoir Hertel de Rouville sur la rue Richelieu, la maison Lamontagne à Rimouski. Ces maîtres du temps retiennent le regard, figent l’attention, questionnent le passé, puisqu’il faut les regarder au ras des pâquerettes.

C’est le plancher des vaches qui leur donne de la hauteur; et la patine des madriers qui redore leur noblesse. Ils ne prétendent pas à la hauteur des buildings urbains. Ils contournent le changement du temps. Ils dérangent l’ordre de l’évolution séculaire.  Ils retiennent captif le passé au niveau du trottoir. Ils donnent de la courbure à l’espace-temps, comme aurait écrit Einstein.

Paul-Henri Hudon, président de la Société d’histoire de la seigneurie de Chambly

Photo: Archives de la Société d’histoire, la maison Boileau, vers les années 1940, entourée de ses grands ormes.

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