Harmonium : Retour en «Terre Sainte» pour Serge Locat !

André Corbeij

SAINT-CÉSAIREComme un fou…Comme un sage… le 15 novembre 1976… L’Heptade atterrissait dans nos vies pour y demeurer à tout jamais… et ce soir, à l’occasion de son 40e anniversaire, le Gala de l’ADISQ rendra un hommage bien mérité à Harmonium, ce groupe phare de la musique rock progressive des années 1970.

Pour la petite histoire, rappelons que l’Heptade, le chef-d’œuvre d’Harmonium, célébrait le 15 novembre 2016 ses 40 ans. Pour marquer le coup, une réédition remixée à partir des bandes originales avait alors été lancée. Le claviériste Serge Locat, qui avait eu le privilège d’entendre en primeur le produit final, nous avait fait part à l’époque de ses premières impressions, quelques jours avant lancement officiel de cette réédition.

«Ce n’est plus le même album! Enfin on peut entendre aujourd’hui ce qui manquait à l’époque sur le vinyle, à savoir la dynamique du band qui était sous le niveau des parties symphoniques. Les voix et les backs étaient trop en retrait sur la version de 1976. Ça sonnait comme dans un tunnel, sans amplitude. Le résultat qu’on obtient aujourd’hui est remarquable et au-dessus de toutes mes attentes. J’ai été sur le «high» toute la soirée après l’écoute et j’en ai encore la chair de poule !», nous avait confié le claviériste, enthousiaste.

Voilà deux ans donc, à quelques jours du lancement de la réédition de l’Heptade remixé, nous étions allés faire un saut du côté de Saint-Césaire avec Serge Locat, pour jeter un œil sur la petite chaumière du rang Saint-Ours (devenu un lieu de pèlerinage), où l’Heptade avait été enregistré durant l’été 1976.

Pendant le voyage, Serge avait bien voulu ouvrir son livre de souvenirs et nous parler de son épopée au sein d’Harmonium, qui a débuté avec la tournée «Si on avait besoin d’une cinquième saison». Serge Locat avait été invité à joindre Harmonium de façon fortuite. Il avait 23 ans.

Il était rentré de Londres avec un mellotron tout neuf sous le bras. La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre dans la junte artistique. On le convoque au studio Tempo à Montréal pour enregistrer une track dans un pitch commercial. Une fois sa session terminée, il se rend dans un autre local où il improvise sur un piano. Serge Fiori était en retrait et l’écoutait jouer.

«Il avait bien aimé ce que je faisais. Il est sorti du local pour aller voir les autres membres d’Harmonium qui était dans les parages puis il est revenu me voir pour m’inviter à rejoindre le groupe. On s’est booké une rencontre chez moi à Saint-Roch. Louis (Valois), Serge (Fiori) et Michel (Normandeau) étaient là. Harmonium préparait une tournée et se cherchait un claviériste. Je ne connaissais pas Harmonium, même si leur premier disque tournait beaucoup à la radio. Mes oreilles étaient plus orientées vers la musique progressive britannique. Avant d’intégrer le groupe, je me suis rendu les voir en spectacle un après-midi dans un parc dans la région de Hull. J’avais bien aimé l’atmosphère qui se dégageait de cette musique. Le flûtiste Pierre Daigneault était sur scène avec eux», se souvient Serge Locat.

De fil en aiguille Serge intègre le groupe et partira avec Harmonium pour une mini tournée pour tester et roder les pièces à paraître sur le deuxième album.

Un monument musical

En arrivant dans le rang Saint-Ours à Saint-Césaire, les souvenirs de l’enregistrement de l’Heptade remontent à la surface.

«Ça a été des semaines assez intenses. Nous avions répété les pièces dans la maison de Serge Fiori pendant des semaines. C’est là que j’ai rencontré le batteur Denis Farmer. Il a fallu réaménager l’espace pour le transformer en studio d’enregistrement», explique Serge Locat.

L’unité mobile pour capter la musique d’Harmonium sur bande venait de Boston, aux  États-Unis. Les sessions avaient lieu en soirée et pendant la nuit. Michel Lachance était aux commandes de la console et au son des écouteurs pour les musiciens qui jouaient les pièces en groupe, live.

«Dans un premier temps, on a fait tout le «basic track»: claviers, guitares rythmiques, la basse et la batterie. Puis est arrivé Bob Stanley aux solos de guitare électrique. Le flûtiste Libert Subirana et Monique Fauteux s’est joint aux sessions pour ajouter leurs couleurs. D’autres sessions ont eu lieu à Morin-Heights et la partie symphonique dirigée par Neil Chotem a été réalisée à la salle Claude Champagne», explique Serge Locat.

Parmi les anecdotes entourant les sessions à Saint-Césaire les épisodes d’accordage de guitares demeurent dans les annales. «Les guitares Norman étaient tellement instables que Serge (Fiori) pouvait prendre jusqu’à 2 heures pour les accorder. Dans la chanson Comme un Sage, c’était encore plus long parce que c’était un tuning différent. Au début, on attendait, mais après, on sortait bouffer au resto à Saint-Paul (Abbottsford) au lieu de poireauter», rigole Serge Locat.

Autre anecdote que le fameux solo de synthétiseur dans «Premier Ciel»… Serge Locat l’a joué en boucle avec le groupe pour avoir la meilleure prise. Mais de toutes les pièces «L’Exil» demeure celle qui l’a plus marqué.

«Mentalement et émotivement, c’était tellement lourd à porter. Dans cette pièce, on est proche de la schizophrénie… À force de la jouer plusieurs fois dans une soirée, il s’installait une ambiance d’une rare intensité. Moi qui avais une sensibilité à fleur de peau, cette chanson venait me toucher plus que toutes autres. Il fallait que je me couche par terre une bonne demi-heure pour récupérer avant de continuer la session», se rappelle Serge.

Dès sa sortie, l’Heptade obtient un succès fulgurant. Harmonium joue partout à guichets fermés et s’envole pour les États-Unis et l’Europe.

«On avait joué dans un showcase à Londres. Toute la grosse gomme de l’industrie du disque était-là. Il y avait pleins de vedettes. Ringo Starr était assis en avant ! Après cette prestation, nous avions réussi à obtenir un contrat de tournée en Europe avec Supertramp», mentionne Serge.

Harmonium fera près de 150 spectacles avec l’Heptade. Un disque «Live» sera réalisé durant la tournée.

La fin de l’aventure de L’Heptade amènera Serge Locat sur de nouveaux projets en solo d’où émergera l’excellent disque «Transfert».

Un héritage

Rétrospectivement, Serge Locat est fier du chemin qu’il a parcouru. Les années 1970 ont été charnières dans l’histoire de la musique et le prog en particulier.

«Je me considère très chanceux d’avoir pu vivre cette période. L’Heptade a probablement réuni les meilleurs musiciens du moment. On s’est payé un luxe que très peu musiciens avaient accès. On pouvait faire la musique qu’on voulait, sans aucune contrainte, ni limites et ça marchait. Le public répondait à l’appel. Nous avons connu le meilleur des deux mondes», conclut Serge Locat.