« Loving » ou l’art de faire un grand film…tout en simplicité

 Charles Fraser-Guay

CINÉMA – Depuis quelques années, des films de très grande qualité ont traité de la ségrégation raciale aux États-Unis de façon diverse et intelligente. Ils ont contribué, je crois, à conscientiser notre génération sur une facette peu glorieuse de l’histoire américaine.

Ils nous aident aussi à comprendre la racine d’un mal, sans doute moins visible aujourd’hui qu’à l’époque, mais malheureusement encore présente dans la société américaine. Dans ce lot de films durs, mais nécessaires, le plus connu est sans aucun doute l’oscarisé « Douze années d’esclavage »; le plus politisé, « Selma », et le plus sulfureux, « The Birth of a Nation ».

« Loving », le film dont il est question dans cette critique trouve sa place parmi ces œuvres emblématiques d’une manière distincte. Il se démarque de ses prédécesseurs par son traitement minimaliste et par sa sobriété. Le film est tout sauf spectaculaire; il tient sa force de cette simplicité.

Jeff Nichols, le réalisateur, a pris la bonne décision en mettant l’accent sur l’aspect humain de son histoire. Elle est tellement forte en elle-même qu’elle ne nécessite pas de stratagèmes scénaristiques pour maintenir l’intérêt du spectateur. La mise en scène du réalisateur est sans fioritures, presque invisible.

Nous voyons ici et là poindre quelques influences, telles celles de John Ford ou de Terrence Malick, mais sans plus. Nichols nous prouve encore une fois qu’il est l’un des réalisateurs américains les plus intéressants du moment. Sans bénéficier d’un succès populaire, il poursuit son cheminement à l’extérieur du cadre habituel et nous offre à chaque film une expérience cinématographique singulière.

« Loving » est basé sur une histoire véridique, celle d’un couple interracial : les « Loving », un nom prédestiné, vivant dans la Virginie ségrégationniste de la fin des années cinquante. Les deux personnages principaux du film, Richard et Mildred, ne sont ni des intellectuels ni même des militants. Ils ne perçoivent pas leur amour comme étant transgressif. Ils veulent se marier, fonder une famille et n’aspirent qu’à une vie normale. Malheureusement pour eux, à cette époque, le mariage entre Blancs et Noirs était interdit par la loi dans plusieurs états, dont la Virginie.

Richard et Mildred décideront donc d’unir leur destinée dans le district voisin, celui de Columbia. Dès lors, on s’en doute, les problèmes arriveront en cascade pour le couple. De retour en Virginie, Richard et Mildred seront rapidement arrêtés par un chef de police rétrograde puis condamnés par un juge visiblement satisfait d’appliquer les lois injustes et discriminatoires de l’état.

Le couple aura finalement le « choix » entre l’emprisonnement ou le bannissement. Faute de véritable alternative, ils choisiront l’exil, avec toutes les difficultés et les peines que cela présuppose. Commencera alors, pour les deux protagonistes, une longue et éreintante bataille juridique, soutenue par des avocats progressistes.

Le réalisateur retrace minutieusement et avec une sympathie réelle le parcours de ce couple hors du commun. Nichols met l’accent sur leur quotidien et l’aspect intime de leur relation, toujours avec un grand respect. Il ne s’égare pas dans les méandres d’un film juridique ou politique. Il fait ici le bon choix, car l’intérêt de cette histoire réside justement dans le traitement de ses personnages. À mon avis, s’en éloigner aurait fait perdre au film toute sa pertinence.

Dans « Loving », point de surenchère émotionnelle ou de pathos racoleur, seulement Richard et Mildred unis par leur amour et qui, tel David contre Goliath, devront se battre pour faire respecter leurs droits. Difficulté supplémentaire, comme couple, ils devront trouver la force intérieure afin de survivre à cette longue et éreintante bataille juridique. Cet aspect de film est vraiment intéressant, en particulier lorsque des divergences d’opinions apparaîtront entre Richard et Mildred.

Les deux acteurs principaux sont criants de vérité. Joel Edgerton, l’acteur qui incarne Richard, est la grande révélation de ce film. Il est tout simplement magistral. Il réussit le tour de force de faire, en quelque sorte, parler ses silences. Richard, son personnage, est un homme sensible et pudique. Il s’exprime très peu, cherche souvent ses mots. Il se sent dépassé par des événements qu’il ne comprend pas. Joel Edgerton est capable de traduire son malaise, sa vulnérabilité avec de simples regards. Toujours juste, il ne tombe jamais dans la caricature.

Ruth Negga, l’actrice personnalisant Mildred, sa femme, est tout aussi formidable. Femme de tête, elle est bien souvent l’instigatrice des changements à venir. Comme spectateur, il est difficile de ne pas se laisser attendrir par la complémentarité de leur relation.

Autre élément digne de mention, après les deux tiers du film, nous n’avons pas à subir comme spectateur l’éternelle remise en question du couple puis son retour en grâce juste à temps pour un beau « happy end ». Non, dans cette histoire, le couple restera uni quoiqu’il arrive. Voilà, entre autres, pourquoi Richard et Mildred forcent l’admiration.

En conclusion, l’image de Richard construisant les murs de sa maison, entouré de Mildred et de ses enfants restera longtemps gravé à ma mémoire. Le symbole est ici très fort.

Ce couple aura réussi l’impensable, soit de préserver l’existence même de son noyau familial (un mur de tendresse et d’amour), tout en contribuant à changer les lois injustes d’un état dont l’objectif ultime était de maintenir un mur de haine et d’intolérance entre les hommes.