« Maudie » ou l’art de peindre sa vie toute en couleur

 Charles Fraser-Guay

CINÉMA – Si les tableaux sont représentatifs de la nature intérieure d’un peintre, alors ceux de Maud Lewis sont remplis de candeur et de couleur. Film sur le courage et la persévérance, « Maudie » a le mérite de nous faire découvrir une artiste hors du commun, relativement peu connue au Québec. Cette coproduction canadienne et irlandaise, relativement classique dans sa forme, ne réinvente pas la roue, mais parvient à saisir l’essence même de l’artiste.

La réalisatrice Aisling White livre ici un film sans prétention, simple et efficace. « Maudie » n’est pas ennuyeux comme  « Cézanne et moi » et ne se complaît pas dans  la grisaille comme  « M. Turner ».

Sans avoir la même qualité esthétique que ces deux films, le long-métrage parvient toutefois à s’imposer comme l’un des biopics les plus intéressants du moment. La peinture y tient, bien entendu, une place prépondérante, mais étrangement, elle n’est pas l’élément central du récit, plutôt une sorte de fil conducteur.

Figure de proue de l’art naïf au Canada, Maud Lewis a un style particulier, presque enfantin. Mélangeant allègrement fleurs, paysages et représentations animales, avec une habileté graphique indéniable, elle utilise son quotidien comme source inépuisable d’inspiration.

Née en 1903 en Nouvelle-Écosse et décédée en 1970, Maud Lewis soufra, sa vie durant, de polyarthrite rhumatoïde. Elle vécut pour l’essentiel de son existence à l’intérieur des frontières délimitant sa ville. Enfant solitaire et malade, elle habita avec ses parents jusqu’à la mort de ceux-ci, vers le milieu des années trente. Elle fut ensuite envoyée chez l’une de ses tantes.

En conflit avec cette dernière, Maud voulut s’émanciper d’une façon originale : en se trouvant du travail. Elle répondit alors à l’annonce d’un pêcheur irascible et analphabète, du nom d’Everett Lewis. Celui-ci était à la recherche d’une femme de ménage. Maud lui demanda de l’engager et sut se montrer persuasive. Contre toutes attentes, le pêcheur accepta et nous vous laissons deviner la suite…

Femme courageuse et déterminée, Maud fut capable de dépasser ses propres limites. Sans jamais s’appesantir sur sa condition, elle fit face aux obstacles de sa vie en utilisant l’art comme un tremplin vers la liberté et la normalité.

D’ailleurs, elle refusa systématiquement de se laisser caractériser par sa maladie. Point de résignation pour elle, Maud accepta la vie pour ce qu’elle était, avec ses injustices et ses joies, et non pas pour ce qu’elle aurait dû être.

Ethan Hawke surprend agréablement dans le rôle d’Everett Lewis. Depuis le début de sa carrière, l’acteur nous avait habitués à un « casting » de jeunes premiers. Dans « Maudie », sa transformation est radicale.

Il devient sous nos yeux un  homme rustre et bourru, tout en parvenant  à transposer la complexité de son personnage. Sally Hawkins, que nous avions adorée dans « Une éducation » et dans « Happy-Go-Lucky », est fantastique dans le rôle principal. Elle tient le film sur ses  épaules. Sa Maud Lewis est lumineuse d’humanité et elle réussit à nous faire aimer cette femme d’un amour inconditionnel.

La réalisatrice s’attarde à décortiquer, avec minutie, cette relation particulière entre Maud et Everett. Dès les premières minutes du film, nous découvrons une Maud Lewis dans la trentaine, un brin rebelle et à la personnalité déjà bien affirmée.

Aisling White s’abstient d’évoquer l’enfance de celle-ci. À notre avis, la cinéaste prend ici la bonne décision. Le film aurait perdu de sa profondeur en ratissant trop large.

Maudie conserve aussi toute sa pertinence grâce à l’attention mise dans le développement psychologue des personnages. Les défis inhérents à la vie de couple sont très bien représentés. De prime abord,  tout semble séparer les deux personnages.

Everett est asocial, sans culture et bourru, Maud est entêtée, rêveuse et d’une grande douceur. La réalisatrice évite ici les clichés et fait preuve d’intelligence dans sa mise en scène.

Everett, bien que difficile à aimer, s’humanisera graduellement au contact de sa femme. La réalisatrice l’illustre dans deux scènes particulières marquantes.

D’abord, lors de leur première rencontre, nous  voyons un Everett Lewis boire son thé avec rudesse et absence totale de bonne manière. Un peu plus tard, la caméra s’immobilise brièvement sur le visage fermé de l’homme.

Le pêcheur dévisage Maud, d’un regard presque animal. Incapable de s’exprimer adéquatement, il l’attaque verbalement en la qualifiant de demi-femme. À la fin du film, la situation est totalement inversée.

Nous sommes en été, le soleil illumine leur demeure. Nous voyons Everett maintenant seul, boire son thé dans une tasse, sereinement et sans brutalité. Il ouvre ensuite la porte de sa maison et marche vers l’extérieur, baigné de cette même lumière.

Ces deux scènes nous permettent de comprendre l’évolution psychologique du personnage. Il sera domestiqué, dans le sens noble du terme, par une Maud physiquement faible, mais mentalement forte.

Le succès de cette relation atypique est peut-être, en partie, lié à la présence d’un handicap social pour Everett et physique pour Maud. Ils ont sans doute réalisé que seule l’union de leur force respective leur permettrait de s’élever au-dessus de leur condition.

Aisling White brosse ainsi le portrait nuancé et sans complaisance d’un couple dépareillé, mais fondamentalement amoureux l’un de l’autre. Il est toutefois dommage que la réalisatrice se laisse parfois aller à un excès de sentimentalisme, mais il est vrai que la vie hors norme de Maud Lewis ne prédispose pas à la retenue.

Il nous  est impossible de terminer cette critique, sans vous parler brièvement de la fin du film. Aucune inquiétude ici nous ne vous dévoilons pas un élément majeur de l’intrigue.

Maud, les années passant, deviendra en quelque sorte prisonnière de son propre corps. Malgré la maladie, elle continuera de peindre avec la régularité d’un métronome. Elle décédera finalement et la situation est choquante intoxiquée par les émanations mêmes de sa peinture.

Étonnant paradoxe, tout de même, que nous ne pouvions pas passer sous silence. Peindre fut le moteur premier de son existence puis par une étonnante contradiction du destin, il devint aussi celui de sa mort, comme si un jour la vie décida de lui reprendre ce qu’elle lui avait octroyé, si généreusement, autrefois.