Nos idoles, à la vie à la mort : de John à Johnny !

 Pierre-Yves Faucher

Je me rappelle d’avoir été triste le 8 décembre 1980, quand j’ai entendu la nouvelle de la mort de John Lennon. Je le fus beaucoup moins quand j’ai entendu celle de Johnny Hallyday. Pour différentes raisons.

L’ampleur de la tristesse en France suite à son décès est assez incompréhensible de ce côté-ci de l’Atlantique francophone, enfin pour moi, avec le million de personnes qui se sont entassées le long des Champs-Élysées pour apercevoir au loin le cercueil et le défilé grandiose qui y était associé.  Cette gigantesque mise en scène m’a porté à réfléchir sur le rapport qu’on a avec nos idoles.

Tous les livres de psychologie vont l’affirmer. À l’enfance, on recherche  des éléments identitaires pour aider à définir notre personnalité et ces repères se retrouvent  auprès de nos parents et des adultes de notre entourage. À l’adolescence, période de remise en question des valeurs de nos parents, cette recherche se projette vers des personnages publics  (par ex., artistes ou sportifs) pour adopter entre autres leur façon de s’habiller, leur coiffure, leur mode de vie, etc.

Mais qu’en est-il de l’âge adulte? Pouvons-nous parler de trouble obsessionnel compulsif si nos murs de chambre sont tapissés de photos de chanteurs, quand on se peigne et s’habille comme eux (en dehors d’un spectacle hommage) ?

On les connaît ces dérives quand le délire passionnel prend le dessus (par ex., l’assassinat de John Lennon ou l’admirateur de Björk qui, déçu des différentes idylles amoureuses de la chanteuse, a filmé son propre suicide).  Une fois, les repères identifiés et intégrés, le passage à l’âge adulte doit être marqué par une distance qui permet de ne pas s’identifier totalement à l’idole.  Nombreuses sont les personnes qui  trouvent incompréhensibles les comportements extrêmes des fans (culte de la personnalité, collectionneurs, conventions de disques et d’objets rares, etc.). Hé bien, c’est que le passionnel ne répond pas aux mêmes lois que le rationnel.

Soyons honnêtes envers nous-mêmes.  Qui n’a pas déjà proféré des jugements de valeur envers les passions d’autrui?  Il est facile de se moquer des admirateurs des chanteurs, des genres musicaux dépassés, des artistes, des comédiens passés de mode. Qui n’a jamais pointé du doigt une personnalité publique avec les mots quétaine, has-been, passée date?

Dans les années 60, et c’est encore le cas aujourd’hui, les machines des départements des public-relations nous cachaient bien des choses, surtout aux fans. Par exemple, la grossesse de Cynthia Lennon a longtemps été passée sous silence pour que les jeunes filles puissent  continuer à rêver à la chance de marier John. « Aime-a-ar-keting ».

On voyait que ce que les médias complaisants voulaient bien nous montrer. D’autre part, malgré les scandales à répétition, on pardonne malgré tout à nos idoles de multiples écarts de conduite sur le plan humain.  Lennon père absent (pour Julian), infidélité et violence conjugales (avec Cynthia), lui qui dédia par la suite sa vie à l’amour et la paix (démarche sans doute sincère avec un brin de culpabilité).

De son côté, Johnny, mauvais père (David), infidèle et mauvais citoyen (français). Se réclamant de nationalité française, né à Paris d’un père belge, Jean-Philippe Smet  a demandé la nationalité belge pour « des raisons sentimentales » alors que les instances de ce pays le soupçonnaient de vouloir payer moins d’impôt qu’en France. La demande lui a été refusée.

Exilé fiscalement en Suisse pendant dix ans, sa fortune a emprunté en fin de carrière des circuits quelque peu exotiques. Finalement, il a été déclaré coupable d’évasion fiscale. Pour concrétiser, selon moi, cette affiliation factice avec sa terre natale, celui qui ne « vivait que pour ses fans » s’est fait enterrer à l’étranger (bon, Saint-Barthélemy est une collectivité d’outre-mer, mais quand même à des milliers de kilomètres de ceux qui auraient peut-être aimé faire un pèlerinage annuel sans se ruiner).

Dans les années 60 et 70, je ne voyais pas l’intérêt du rock en français au Québec avant l’arrivée d’entre autres Robert Charlebois et Michel Pagliaro et ses Rockers (période post-Chanceliers) avec l’attitude qui concordait avec ce genre musical (la liste des groupes est longue et c’est sans compter la scène très dynamique du rock progressif québécois francophone).

En arrivant sur la scène musicale française au début des années 60, Johnny tentait de faire sa marque en succédant  à une très longue tradition de chansons à texte, de la littérature mise en musique au service des paroles. Avec le rock, les Britanniques, par exemple, faisaient passer l’émotion par la trame musicale dont les paroles servaient  accessoirement à raconter des histoires banales en général (She Loves you, Yeah, Yeah, Yeah!). 

Il y a des musiques qui ne sont pas faites pour être écoutées dans les salons, mais pour être dansées comme le disco et le rock. Une expatriée française (en Angleterre) qui écrit pour The Guardian a pour moi mis le doigt sur ma perception du personnage Hallyday. « Être cool n’est pas dans l’ADN des Français. Comme cuisiner des hamburgers, parler une autre langue sans avoir un accent, le beurre d’arachides, les motels, le service à la clientèle sous toutes ses formes, la bière et le punk rock ».  Sa théorie s’illustre le mieux avec Johnny, l’Elvis Presley français. Selon elle, il n’a jamais été cool ou un pionnier, en fait il est plus l’Elvis des années 70 que celui des années 50.

Johnny avait surtout cet amour  de tous les clichés de l’Amérique des années 50, les grosses voitures, les motos, les vêtements de cuir qui transpiraient la mise en marché. Mais je crois que ce qui l’a sauvé à mes yeux, c’est qu’il assumait ses contradictions et qu’il se voulait authentique  jusqu’à la mort comme l’indique ce qui est inscrit sur sa pierre tombale à sa demande : « Souvenez-vous de moi comme d’un homme sincère ».

Rappelez-vous qu’en ce temps des Fêtes, la modération de l’admiration a bien meilleur goût !