«Pieds nus dans l’aube», À la recherche du passé perdu

 Charles Fraser-Guay

 

CINÉMA«Pieds nus dans l’aube» est une chronique familiale touchante, célébrant de manière poétique la vie et l’œuvre du père de la chanson québécoise. Adapté d’un livre du même nom, écrit en 1946 par un Félix Leclerc à peine auréolé du succès d’estime d’Adagio, d’Allegro et d’Andante, mais encore dans l’antichambre de la consécration, le film s’attarde à nous décrire ses jeunes années, dans une Mauricie de carte postale.

Réalisé par nul autre que Francis Leclerc, le fils du chansonnier, ce long métrage est empreint de quiétude et de luminosité. Le cinéaste dresse le portrait d’un Félix avant Félix avec la complicité d’un Fred Pellerin, coscénariste.

Ensemble, avec une véritable poésie des mots, ils nous entraînent dans les souvenirs de l’auteur de la chanson « Le P’tit bonheur ». Ces souvenirs sont ceux d’un Québec disparu, ceux des défricheurs, des familles nombreuses, d’une vie au gré des saisons et de l’omniprésence de la religion.

Nous sommes dans le La Tuque de 1927, Félix Leclerc a douze ans. Nous le découvrons à une période charnière de son existence. Son enfance s’estompe graduellement sous le poids des années.

Garçon sensible et attachant, il devra faire le deuil de son insouciance, afin de se projeter dans le monde des adultes. En effet, il vient d’être accepté dans un collègue classique à Ottawa et devra, par conséquent, quitter son village, d’ici peu.

Cette perspective est loin de l’enchanter. Il est heureux dans son cocon familial, véritable îlot de sécurité et de chaleur humaine. Autour de lui, le temps s’égrène lentement dans une sorte de cycle immuable. Nous sommes les témoins de ses jeux d’enfants avec son ami Fidor, de ses interactions avec sa fratrie et nous assistons à ses premiers émois amoureux.

Il s’agit d’une vision nécessairement mystifiée de l’enfance, l’histoire, nous étant présentée à travers les yeux candides du jeune Félix. Ainsi, les drames, dont la nature demeure mystérieuse pour un garçon de douze ans, restent périphériques à l’histoire elle-même. Nous ne sommes pas dans le domaine du réel plutôt dans le conte.

« Pieds nus dans l’aube » ne cherche pas à décrypter les signes avant-coureurs de la vocation à venir du chansonnier. À vrai dire, le Félix de cette histoire est un garçon tout à fait normal, quoique particulièrement curieux et observateur. Le film est un hommage à son œuvre plutôt qu’une bête transposition des grands moments de son existence.

Nous y retrouvons d’ailleurs l’ensemble de ses thèmes de prédilections soit la nature, les femmes, l’amour des animaux, la mort, le cycle des saisons et le nationalisme.

La reconstitution d’époque est extrêmement soignée et nous plonge dans le cœur même d’un Québec d’antan magnifié et sans doute rêvé. Cette sensation de décalage est amplifiée par une musique enveloppante.

Le film déconcertera le spectateur avide d’en apprendre davantage sur le poète, mais comblera le cinéphile ouvert à la beauté des images et à la poésie des mots.

Toutefois, le long-métrage aurait pu bénéficier d’un montage plus serré. La scène ou Félix se perd en forêt est superflu et n’ajoute pas grand-chose à l’histoire.

La direction d’acteur est sans faille. Justin Leyrolles-Bouchard, dans le rôle du jeune Félix, est particulièrement touchant. Ses regards deviennent, en quelque sorte, un mode d’expression à part entière et reflètent toute la richesse intérieure du personnage.

Léo Leclerc, le père du protagoniste, un homme droit et bon, est interprété par un Roy Depuis au meilleur de sa forme. L’acteur insuffle à son personnage une force tranquille.

Il en est de même pour Catherine Sénart qui incarne Fabiola, la mère du poète. Elle représente l’archétype de la mère québécoise aimante et dévouée. Ensemble ils forment un couple presque trop parfait.

Dans le rôle de l’oncle de Félix, Robert Lepage, malgré une présence réduite, vole quasiment la vedette à ses confrères.

Bien que lisse et sage dans sa mise en scène, « Pieds nus dans l’aube », sans jamais nous bousculer, nous emmène au cœur même de notre mémoire collective. Film contemplatif en total diapason avec l’œuvre de Félix Leclerc, le long-métrage vous rendra nostalgique d’un certain passé.

À une époque de perte de repère et de dislocations identitaires, c’est un peu comme si notre cinéma et notre télévision nationale à l’image de nous-mêmes cherchaient à retourner dans son « terroir ».

Charles Fraser-Guay

Photographie: Gracieuseté: Les Éditions Fidès