Triste mot d’ordre: d’octobre à mars, abattons nos frênes !

 Lise Perreault

ENVIRONNEMENTÉvidemment les morts et moribonds, ceux qui présentent plus de 30% de dépérissement.  J’en compte 14 autour de la maison, dont mon dénommé «arbre à corde à linge». 

Effacer ce charmant tableau du linge aux couleurs vives de l’été qui se balançait au vent sous ses branches vivantes. Plus de feuilles pour ombrager notre table à pique-nique, notre balançoire où l’on ne va plus guère converser qu’au soleil couchant si les moustiques font trêve sous la brise.

Ces arbres majestueux s’étiolent et disparaissent de notre décor. L’une de mes voisines en avait une droite rangée bordant richement le chemin qui mène à sa maison. Mes voisins d’en face en avaient deux, hier encore, superbes frênes, sans conteste leur plus bel ornement. Ils s’élèvent toujours, dépouillés au centre d’un îlot de fleurs, mais depuis qu’ils sont morts, la plate-bande échevelée est laissée à elle-même.

Des couleurs manquantes à l’automne, tant d’arbres morts. Les dénombrer à vue d’œil est impossible, trop de troncs, de branches nues enchevêtrées. Le boisé se nuance de gris. Encore plus de chaleur l’été, moins de protection contre le froid l’hiver. Moins d’arbres sentinelles pour arrêter le vent, moins d’arbres enracinés pour solidifier les berges. La rivière des Hurons, à Saint-Mathias-sur-Richelieu, en est bordée en surplomb, de frênes. L’érosion guette ses berges. Puis ils boivent tant, les arbres, ils aident à gérer les eaux pluviales, à repousser les inondations. Sous les grands vents, ils tombent maintenant d’eux-mêmes dans le boisé qui devient tout désordonné. Les frênes âgés de toute leur hauteur s’abattent sur les arbres plus frêles, les entraînant dans leur chute. Tout est pêle-mêle et coupé le sentier qui menait à la rivière.

Cette chronique prend l’allure d’une sorte de requiem, un hommage à cette essence dont des millions d’arbres aux États-Unis et au Canada sont morts, dont des milliards d’autres arbres risquent d’être infestés et d’en mourir partout en Amérique du Nord. La Montérégie fait partie des lieux où l’agrile se glisse entre l’écorce et l’aubier de ces multitudes de centenaires qui, privés de chlorophylle, réduisent notre apport d’oxygène. Les scies mécaniques feront bientôt disparaître à mes yeux le spectacle quotidien de leur force tranquille qui s’est retirée si vite! Ils deviennent dangereux au bord des routes, aux abords des maisons et leur absence dénudent progressivement nos paysages sans qu’on y puisse grand-chose, sinon ce désolant abattage sanitaire.

D’aucuns se prennent à détester l’agrile du frêne, mais l’indésirable a quand même pris ses aises à la faveur du réchauffement climatique. À qui alors imputer cette perte d’une partie de notre patrimoine forestier?

Combien de colonies d’oiseaux y nichaient, y nichent encore, dans ces grands condamnés? Espérons que le pic-bois, seul prédateur indigène de l’agrile chez nous, ralentisse le déclin des frênes et se regonfle les plumes, lui qui est classé espèce en péril. Quant à la rivière, moins ombrée, elle se réchauffera, modifiant encore les écosystèmes de ses eaux déjà trop polluées. Tous ces arbres en moins pour absorber le dioxyde de carbone, tous ces alliés naturels contre le réchauffement climatique : la voit-on, la boucle infernale? Tant d’arbres garants de fraîcheur meurent. Par centaines de milliers. Alors que la hausse du climat, toute minime soit-elle en termes de degré, favorise l’adaptation d’insectes exotiques qui auparavant n’auraient pas survécu sous nos latitudes.

Toutes ces pertes crève-cœur sont-elles chiffrées quand on nous vante les grands projets gaziers/pétroliers qui font miroiter la richesse? Ce cul-de-sac, nommé hydrocarbures, qui retarde l’urgentissime réduction du CO².

Lise Perreault