Un Noël blanc et un Noël blues !

Pierre-Yves Faucher

MUSIQUE – Avec l’annonce de la sortie imminente d’innombrables autres albums de Noël, je me pose toujours la même question. Pourquoi mettre de l’énergie pour créer un produit qui existe déjà dans des tonnes de versions? C’est comme les concepteurs de robinets de douche. Arrêtez de mettre de l’énergie à concevoir quelque chose de compliqué quand le simple fonctionne très bien.

Le temps des Fêtes approche et ce sera bientôt le temps de faire nos listes de suggestions de cadeaux. Un des gadgets/produits/bébelles/bidules que je n’ai jamais mis sur ma liste, c’est un disque de Noël. Pour moi, ça s’achète pour mettre de l’ambiance dans la maisonnée, mais ça ne se donne pas en cadeau. Ça va peut-être changer cette année dans mon cas.

Le Félix de l’album le plus vendu : un disque de Noël. Say what ?

Il y en a encore qui achètent des disques au Québec ? C’était sans compter sur Mario Pelchat qui offre un produit impeccable qui plaît à une majorité de Québécois. Au dernier gala de l’ADISQ, qu’elle ne fut pas ma surprise d’apprendre que le gagnant du Félix de l’album le plus vendu au Québec était Agnus Dei : Mario Pelchat et les Prêtres, un disque certifié d’or. En deuxième position des ventes au Québec, on retrouve Les prêtres : Noël ensemble, une autre production de Mario Pelchat (novembre 2017). C’était le troisième album pour lui sur ce thème si on compte son Noël Gospel paru en 2004. Comme disait mon oncle: «Il était dû » pour un trophée.

Mais la plus grande stupeur m’est venue l’été passé quand on a annoncé qu’Eric Clapton avait l’intention d’ajouter une saveur blues aux traditionnelles ritournelles mille fois entendues. Ce n’est pas avec un brin de scepticisme que j’ai accueilli la nouvelle. C’est avec une charrette remplie de balles de foin. Il a dû faire ça pour faire plaisir à ses enfants, me dis-je. Il est à court d’idées, je désespérais. C’était sans compter sur son intégrité artistique et de sa volonté de rester près de ses racines artistiques. Quand j’ai entendu le résultat, j’ai poussé un Oufff décoiffant quelqu’un. Car, je l’avoue, l’exercice est concluant. Qui l’eût cru !

Intitulé tout simplement Happy Xmas, Clapton a coproduit l’album avec son vieux complice Simon Climie. Cela faisait un bout de temps qu’il considérait s’approprier ces chansons et peu à peu il trouva la façon d’insérer des riffs bluesés et de colorer à sa manière ces chansons. Il a de plus créé lui-même la pochette avec une illustration somme toute sympathique.

L’album comprend 14 pièces dont le répertoire inclut des standards comme White Christmas (Noël blanc) et Silent Night (Sainte nuit), quelques autres chansons du temps des Fêtes moins connues comme Away in a Manger (Là-bas dans une étable) et une composition originale For Love On Christmas Day. Eric Clapton reste fidèle à lui-même dans le traitement dans la plupart des chansons choisies.

Ce qui sauve la mise pour moi, c’est qu’une bonne partie des chansons sont très près des standards blues de ses héros comme Lonesome Christmas (shuffle à la Sweet Home Chicago de Robert Johnson), It’s Christmas très country pop qui fait penser au style de J.J. Cale et Merry Christmas Baby un pur 12-bar blues à la Lowell Fulson dans Reconsider Baby qui comprend un solo approprié.

La chanson Christmas Tears a quant à elle des airs de Have you ever loved a woman, un slow blues typique d’un de ses héros, Freedy King. Le traitement d’autres pièces s’éloigne des évidences sonores liées au temps des Fêtes pour emprunter celles de la pop comme Sentimental Moments où le piano et la guitare acoustique appuient une très belle balade ou comme Have Yourself a Merry Christmas qui clôt de belle façon l’album avec une voix sous le ton de la confidence accompagnée par un piano vaporeux.

La plus étonnante de l’album est sans contredit la transformation de Jingle Bells en musique de danse électronique très rythmée, répétitive (et quelque peu ennuyante). Il insère quelques riffs de guitare ici et là, mais sans plus. Une bizarrerie qui détonne du reste de l’album. À danser, pas à écouter. Comment se fait-il qu’elle soit incluse sur l’album tant elle diffère du reste de l’offre ? Il l’a dédiée à Avicii (Tim Bergling), un DJ, un producteur et un remixeur suédois qu’il admirait et qui est décédé récemment. De graves problèmes de santé physique et mentale liés entres autres à une trop forte consommation d’alcool l’ont apparemment poussé au suicide. On peut comprendre l’empathie de Clapton à son égard. 

Ce n’est pas la première incursion d’Eric Clapton dans cet univers musical. On l’a déjà invité à prendre une place prépondérante sur l’album A Very Special Christmas Live from Washington, D.C., qui est paru en 1999. Il a participé à cinq chansons sur cet album produit dans le cadre d’une prestation en public au mois de décembre 1998 pour souligner le 30e  anniversaire de la création des Jeux olympiques spéciaux. L’événement était organisé par le président Bill Clinton.

Un Noël en compagnie d’Eric Clapton ? Bien oui, Eric Clapton.